Jouer dans une salle vide

Comme je te l’avais dit, Georges, pour ce samedi, João nous avait trouvé un petit concert dans l’après-midi.
- Comme ça vous connaitrez mon frère.
J’avais entendu parler de lui. Un accident, l’année précédente.
C’était un de ces établissements joyeux et lumineux comme il en existe beaucoup d’autres au Portugal. Vous avez ça, certainement, aussi : c’est spacieux, c’est bien agencé, c’est chatoyant et il y règne une bonne humeur toujours émouvante.
On joue de temps en temps dans de tels lieux, ici ou là, et j’ai lu que quelques-uns d’entre vous aussi.
Mais là, c’était une première nouvelle fois pour moi. Une grande salle vide. João ne paraissait pas inquiet, et son calme était presque communicatif. J’aime beaucoup João. Tout le contraire de mes anxiétés.
Et puis un bruit de ferraille rouillée, de chaînes mal graissées, est parvenu peu à peu du couloir.
Poussé par une cohorte de CapVerdienne, d’Angolaises, de Guinéennes, toutes plus joyeuses les unes que les autres, un troupeau de chaises roulantes a envahi la vacuité de mes angoisses.
On a joué trois heures durant notre musique tellement dansante.
Pour un public merveilleux. Une salle comble. Tous tétraplégiques. Même la gamine de dix-neuf ans qui n’a pas cessé de sourire au Grand-Père que j’aurais pu être.
Et le vacarme de leurs seules paupières battantes pour nous applaudir nous a assourdis de bonheur.

c'est bien raconté...

les mots aussi ça peut faire une chouette musique, parfois.

Mimine a écrit:je connais trop bien !
Comme ce Monsieur qui ne marchait plus, devenu délirant puis "endormi" dans son fauteuil roulant depuis plusieurs semaines qui se lève d'un coup et se présente sur la piste de danse pour gambiller au son de l'accordéon...et ces personnes qui ne se souviennent plus de leur propre nom et qui chantent les refrains entiers des chansons de leur jeunesse...Des petits miracles que seule la musique sait inventer et j'en suis toujours aussi émue à chaque fois.

Tu sais (en fait je ne suis pas trop habitué et au début j'ai eu un sentiment de détresse) j'ai pensé à toi hier en jouant (verdade !!!).
Pas tout le temps, mais quand même un peu, je me suis souvenu de tes lignes.
Assez souvent, j'ai joué pour des vieilles personnes et ça me faisait plaisir de les amuser sans sentiment d'injustice. Elles sont vieilles, c'est la vie.
Là, à la fin, on a parlé, la gamine de 19 ans m'a dit (tout doucement, elle articulait difficilement) : c'est pas la peine de me gueuler dans l'oreille, je ne suis pas sourde, je suis juste tetra.
Manquait plus que ça pour me foutre la honte... 
Mais bon, y'a pas eu de miracle. 
Enfin si... des petits miracles, comme tu dis.

on montais des spectacles d'enfants quand ma fille était gamine et on le jouait à chaque fois à la maison de retraite du secteur. c'est un public différent, mais être au max le file la pêche.

Heureusement, la vacuité déprimante du titre est sublimée par le dénouent de l'histoire...